Est-ce que les artistes-interprètes ont été moins touchés par la crise du disque (entre
autres causée par le téléchargement) que les auteurs compositeurs/producteurs/éditeurs, ou ont-ils été touchés indirectement ?
Premièrement, dire que la crise du disque c'est le téléchargement, c'est très contesté. Il n'y a pas que le
téléchargement, il y a aussi la politique des majors du disque qui n'ont pas vraiment su s'adapter aux réalités du marché. Effectivement, les producteurs de de disques ont perdu la moitié de leur
chiffre d'affaires en quatre ans, il est à moins de 600 millions d'euros aujourd'hui. Beaucoup de petites maisons de disque, d'indépendants, ont été obligés de mettre la clé sous la porte et les
majors ont fait des plans de licenciement importants.
Les artistes-interprètes, bien sûr qu'ils ont été impactés.
Mais de quelle manière ?
Dans leurs revenus, dans la manière de gérer les cachets des producteurs : on a pu constater en accédant à un
certain nombre de contrats que le passage à internet n'a pas avantagé les revenus et on sait surtout aujourd'hui que dans la vente légale de musique en ligne, un artiste ne touche quasiment rien,
les producteurs négocient l'essentiel. Pour ce qui est de ce qui circule sur internet de manière illégale, personne ne touche rien.
La principale revendication de l'ADAMI porte sur le fait qu'il faut instaurer la gestion collective sur internet.
En quoi consisterait cette gestion collective ?
C'est à définir. L'ADAMI était à l'origine en 2006 de la licence globale, qui a été votée pendant une période très
courte à l'Assemblée Nationale du fait d'un manque de vigilance des députés UMP. Le principe est simple : un forfait dont le montant restait à
définir, la propension à payer à l'époque avait été évaluée à partir d'enquêtes réalisée auprès d'audionautes était de 5 euros, prélevés sur les abonnements haut débit en contrepartie de quoi les
internautes avaient la possibilité de télécharger de manière légale avec une sécurité juridique. Si elle était restée inscrite dans la loi, ça représente quand même, au vu du nombre d'abonnés
ADSL qui a monté en puissance, 1,2 milliards d'euros à distribuer entre les ayants droit. Pour l'ordre de grandeur, le chiffre d'affaires du disque c'est 600 millions.
Si on avait autorisé le téléchargement, est-ce que les acteurs en ligne (plateformes légales) auraient eu plus
de mal à se développer ?
C'est un des principaux arguments qui était opposé. Aujourd'hui l'ADAMI ne défend plus la licence globale. On s'en
remet à la mission qui a été menée par Patrick Zelnik conjointement avec Jacques Toubon à la demande du ministre de la Culture, dans laquelle il faisait une proposition d'une mise en place de
gestion collective sur internet de la musique et qui avait même été reprise en janvier 2011 dans les vœux du Président de la République au Ministre de la Culture. Depuis, on en a plus entendu
parler.
La forme est à discuter avec les producteurs. Là il y a eu une petite avancée car il y a un accord en passe d'être
signé par les producteurs, c'est un tout petit bout d'application de cette gestion collective sur internet sur les web radios. En même temps, ça ne représente pas grand chose en France, ça
rapportera quelques centaines de milliers d'euros aux ayants droit de l'ADAMI.
Est-ce que vous pensez que les artistes-interprètes sont mieux protégés avec
l'Hadopi ?
La position de l'ADAMI sur l'Hadopi était très neutre. On n'a ni soutenu, ni condamné, on est restés très en retrait
considérant que la priorité de cette question fondamentale de l'éruption du numérique dans le monde de la création était le problème de la rémunération des ayants droit. Il nous semblait que
mettre en place un système répressif, même avec riposte graduée, était d'abord inefficace parce que l'Hadopi est essentiellement tournée vers les pratiques de peer-to-peer, alors que ce sont des
pratiques en voie de disparition. Cela représente un budget de plusieurs millions d'euros par an pour pas grand chose : c'est un pétard mouillé qui coûte extrêmement cher.
On se reconnaît beaucoup dans les propositions de François Hollande dans le cadre de la campagne présidentielle sur
ces problèmes de culture du numérique. Une riposte à caractère répressif ne paraît pas approprié.
Je pense que cette façon qu'ont eu de faire les producteurs, de faire énormément de résistance et de pousser les
pouvoirs publics à se concentrer essentiellement sur une voie répressive a une conséquence tragique aujourd'hui. Toute une génération d'audionautes,
face à cette absence de réponse logique et structurée des pouvoirs publics par rapport à la question d'internet, ont développé une logique de refus et de remise en cause fondamentale de la
propriété intellectuelle, et ça c'est nouveau. C'est tragique parce que beaucoup de gens se sont battus pour la propriété intellectuelle, il a fallu des dizaines d'années pour obtenir un certain
nombre de choses, et aujourd'hui, dans cette culture de l'internet, un bon nombre de gens considère que la propriété intellectuelle est illégitime. Ça on le doit aux producteurs qui ont empêché
toute construction un peu intelligente d'une loi portée par les pouvoirs publics, qui au lieu de se concentrer uniquement sur la répression, aurait pris en compte les problèmes de la
rémunération.
Ça n'est pas la première fois que la propriété intellectuelle se trouve confrontée à des innovations technologiques.
Quand il y a eu l'éruption de la radio par exemple, qui est une grande innovation technologique en terme de diffusion et de massification de la culture, le programmateur de radio était tenu de
demander l'ensemble des autorisations des ayants droit pour programmer ne serait-ce qu'une chanson : ça n'était pas possible. On a donc créé une licence légale, la rémunération
équitable : on donne la possibilité aux radios de programmer sans autorisation préalable en échange de quoi ils payent un pourcentage de leur chiffre d'affaires. On a donc bien trouvé une
solution.
Ensuite quand sont apparus les magnétophones à cassette et les magnétoscopes, de nombreux producteurs aux États-Unis
ont demandé d'interdire ces technologies. Cet aspect extrêmement conservateur et archaïque des producteurs n'est pas nouveau.
En 1981, lorsque les socialistes sont arrivés au pouvoir, ils ont été vite confrontés au problème que les gens avaient
des appareils leur permettant de copier de manière illégale. Il a fallu trouver une solution. Le cabinet de Jack Lang a ouvert une vraie concertation, ce que l'UMP n'a jamais fait : toutes
les concertations qu'accompagnaient la loi DADVSI, la loi Création & Internet de la mise en place de l'Hadopi, étaient partielles, ils n'invitent que les gens qui les soutiennent. La
concertation a duré deux ans et a abouti à un projet de loi qui n'est pas passé en urgence à l'assemblée nationale comme tous les textes passés ces derniers temps déposés par le gouvernement, la
navette entre l'assemblée nationale et le sénat a duré un an, ce qui a permis aux députés et aux sénateurs de réfléchir. Au résultat, la loi de 1985 a été votée, qui a d'un côté instauré les
droits voisins des droits d'auteur et qui a surtout instauré le système de la copie privée, qui était, après la rémunération équitable, une autre licence légale, c'est à dire, un coup de canif
dans le droit d'auteur qui est le droit d'autoriser ou de ne pas autoriser. En contrepartie du fait que ce droit ne puisse pas s'exercer, une redevance est prélevée. Ça fait 27 ans que la
commission chargée d'établir les barèmes, malgré les aléas, a su s'adapter avec l'évolution des supports, puisqu'aujourd'hui il y a une redevance y compris sur les tablettes numériques, et bien
sûr sur tous les smartphones. La copie privée est quelque chose d'important car c'est une rémunération légitime qui va aux ayants droit et la spécificité de la loi de 1985 prévoyait qu'un quart
des sommes était réservée à l'action culturelle. Cela représente à peu près 7000 emplois. L'ensemble de la copie privée, tous aspects confondus, représente 50 millions d'euros par an.
La copie privée est donc la principale source de revenu de l'ADAMI ?
L'essentiel passe par la copie privée et la rémunération équitable.
Dans vos propositions pour 2012, vous
évoquez l'idée d'étendre la copie privée à tous les échanges « hors marché » en ligne, en pratique les échanges les plus incontrôlables sont ceux qui sont considérés comme illégaux, le
streaming,...
Dans la même logique qu'en 1985 on a mis en place cette loi sur la copie privée, aujourd'hui on passe d'un univers
basé sur les supports à un autre basé sur les flux. Il y a une réelle mutation des pratiques. Il y a encore de la résistance, c'est comme sur le livre numérique. Des gens pensent que le livre
numérique ne va pas balayer le livre physique, bien sûr que si. Il y aura toujours des livres physiques comme aujourd'hui on voit réapparaître dans les bacs de la FNAC des vinyles, parce que le
son numérique est très dégradé, de très mauvaise qualité, donc il y a un retour vers le vinyle. Ça restera tout à fait marginal. La révolution numérique est passée par là et elle tue le support
physique. On aura bientôt des formules d'abonnement qui feront qu'on pourra accéder à toutes les œuvres musicales et audiovisuelles d'un simple clic.
Du coup, la copie privée qui est déjà en train de baisser, risque d'être menacée par cette révolution technologique
qui fait qu'on passera des supports aux flux. Dans cette logique là il faut taxer les flux, les fournisseurs d'accès.
Après, est-ce que ça légalise les pratiques ou non, c'est la question. Les propositions pour la présidentielles sont
toutes encore floues. Le parti socialiste a annoncé qu'il ferait une très large concertation pour une grande loi sur le numérique qui ne sera pas cantonnée à un seul volet, mais qui intégrera
bien la mise en place d'une rémunération pour les ayants droit et avec comme indication que la gestion collective serait un point de vue central.
Est-ce que l'ACTA (Accord Anti Contrefaçon), s'il passe au niveau européen et donc
s'il prévoit sur le droit français, peut poser problème ?
C'est pas encore fait, à voir. Au niveau international, à l'UNESCO, il y a une convention pour la diversité culturelle
qui a été signé par l'essentiel des pays. L'idée fondamentale est de dire que la culture n'est pas un produit marchant comme les autres. Pourquoi c'est important de l'affirmer ? Parce qu'au
niveau mondial les négociations sur le commerce international vont dans une logique de lever les barrières douanières, la seule règle qui vaille est celle du libre échange. Or, en France, et pas
seulement, il y a énormément d'aides dans la culture. Le produit culturel existe par ces aides, et ça n'est pas dans la logique internationale. C'est pour ça qu'il faut se battre pour la
spécificité des œuvres culturelles. Si on assimile la culture aux règles du marché international, demain il n'y a plus que la culture américaine, c'est ça le grand danger.
On est très attentifs à l'ACTA, il y a une certaine opacité dans les négociations, mais on n'y est pas encore.
Chaque fois qu'il y a eu des menaces à Bruxelles sur la copie privée (et il faut savoir qu'à Bruxelles, le bureau de
la propriété intellectuelle est rattaché au marché extérieur, pas à la culture et ni à l'audiovisuel), le Président Sarkozy et François Fillon ont réussi à bloquer les choses. Sur ces questions
culturelles, les tentatives de faire basculer la culture comme un produit marchand sont plus ou moins vouées à l'échec, quel que soit le gouvernement. En France il y a un consensus national
extrêmement fort.
Même si Nicolas Sarkozy est réélu, l'UMP est allée au bout de sa réflexion depuis décembre 2006 avec la loi DADVSI,
avec la mission Olivennes, Zelnik,... Tout ce travail a été fait sur une logique de répression, mais l'UMP est aujourd'hui mûre pour réfléchir à un projet qui intégrerait la gestion collective.
Le président de la République a bien dit que s'il n'y avait pas d'accord avec les producteurs, ça se ferait par la loi. Ça ne s'est pas mis en application avec l'arrivée des présidentielles.
C'est comme le Centre National pour la Musique qui se calque sur le modèle de l'audiovisuel.
Ces 6 années n'ont pas été inutiles, ça a permis de mettre sur la place publique cette question là, dans les grands
médias. En 2006, les parlementaires étaient dans une situation d'ignorance, aujourd'hui, aussi bien à l'assemblée nationale qu'au Sénat, il y a des groupes de parlementaires qui sont extrêmement
pointus sur ces questions là, ce qui n'était pas le cas avant, et c'est nécessaire car ce sont des questions complexes.