Les français sont le
premier groupe de touriste étranger à visiter la Californie.
San Francisco, après Londres est la ville qui comprend la plus grande communauté française. Ils seraient de 70 000 à 100 000 à San Francisco. Etudiants ou travailleurs ils ont fait un choix parfois temporaire, le plus souvent définitif. Le charme
exceptionnel de la ville, la baie, l’océan Pacific et les grands parcs opèrent presque instantanément sur l’esprit du voyageur.
Les jeunes populations sont les plus captives. La ville regorge de lieux à
leurs mesures et d’évènements incroyables. L’un d’entre eux a lieu chaque année à Pâques, il consiste en une phénoménale descente de tricycles sur Lombard Street, plus excentriques les uns des
autres. Le quartier français n’y est pas bien important, contrairement aux autres nationalités. On le surnomme parfois Little France. C’est un espace qui se situe le long de Bush
Street et autour de Belden Place et Claude Lane. Il comprend surtout des cafés, des restaurants et des hôtels.
Mais les français n’ont pas le réflexe de se concentrer urbanistiquement,
ils se noient dans la ville, ils s’y confondent. Plusieurs repères sont nécessaires : le Minna, un mixte de bar, galerie d’art et boite de nuit est l’un des points fixes où se
retrouvent les jeunes français, qui se trouve dans Downtown, à deux pas du Financial District. Ensuite il existe aussi des French Tuesday, soirées plutôt chics où se donnent
rendez-vous les français les plus branchés. Selon Le Chronicle, principal journal de San Francisco, il y aurait une cinquantaine de restaurants français (Le Café Tartine, la Fringale,
le Ticouz, le Garçon French Restaurant, le Café Claude,Le Florio Bar & Cafe …). Comme souvent à
l’étranger, le 14 juillet est l’occasion de se rappeler à sa citoyenneté. C’est au Café de la presse que revient le soin d’y célébrer notre fête nationale, sur Belden Place, entre
Plouf et le Café Bastille.
Le consulat de France recense environ 1 500 étudiants inscrits dans les
universités de Berkeley ou Standford… ce sont aussi 8 000 français qui travaillent dans la Silicon Valley.
Mais ce temps présent est loin de refléter la réalité historique et
l’importance que la communauté française joua dans l’établissement de la ville. La petite France, comme on dit couramment occupait dans le passé une zone géographique bien plus importante,
que le quartier chinois contiguë n’a eu de cesse de grignoter. Ainsi existait-il un grand magasin City of Paris qui connut un succès notable jusqu’à sa disparition en 1981, on y visite
encore la verrière centrale du magasin.
On ne peut passer sous silence l’église Notre-Dame-des-Victoires, qui date de 1856. Mais passablement détruite par le grand tremblement de terre de 1906, elle fut entièrement
reconstruite en 1908. C’est aussi un rendez-vous important, chaque dimanche matin, on y célèbre une messe en français.
Au départ la baie de San Francisco fût espagnole du XVIIe au XVIIIe
siècle. C’est à partir de 1776 que les colons espagnols ont commencé à bâtir la ville, essentiellement un village de toiles dans un premier temps au milieu duquel trônaient le Presidio et la
mission espagnol (construite par Juan Bautista de Anza). Mais c’est déjà en 1741 que la première ruée sur le site se produit à l’initiative de navigateurs russes qui y trouvent nombre de
fourrures de loutres de mer. Ceux-ci descendaient de l’Alaska pour peu à peu s’intéresser à la côte californienne. Ce sont les espagnols qui, les premiers, mirent fin à cette tentative russe en
s’implantant sur la baie. Puis les anglais firent une percée en la personne de James Cook.
Les français franchissent le seuil en la personne d’inconnus : Pedro
Prat, qui sera le chirurgien de l’expédition espagnol de Juniero Serra en 1769 et Pedro Roy (de Lorient) dont les archives indique qu’il sera le parrain d’un indien. Mais c’est en 1786 qu’il faut
attendre l’arrivée du célèbre François Galaup de la Pérouse qui jette l’ancre dans la magnifique baie de Monterey au sud de San Francisco. Son récit de voyage démontre qu’il passa devant le
promontoire de San Francisco et sa baie sans voir ni l’un ni l’autre, déjà cachés par une brume tenace. C’est donc un gouverneur espagnol qui lui fit un chaleureux accueil à son escale à
Monterey, alors capitale de la Californie
La description de La Pérouse du site est enthousiaste :
« "Nul pays n’est plus abondant en poisson et en gibier de toutes espèces"…, …"Nos cultivateurs d’Europe ne peuvent avoir aucune idée d’une pareille fertilité"…, parlant de la baie
" couverte de pélicans, et emplie de baleines. On ne peut exprimer ni le nombre de baleines dont nous fûmes environnés, ni leur familiarité ; elles soufflaient à chaque minute à demi-portée de
pistolet de nos frégates, et occasionnaient dans l’air une très grande puanteur." .
Cette arrivée de La Pérouse, avec son prestige et sa notoriété marquera
les esprits en France. Le reporter de l’époque Gaspard Duché de Vancy, qui était l’artiste officiel de l’expédition fit un compte rendu magnifique de la réception de la Pérouse et de son
entourage par la mission, franciscaine de Carmel, livrant à l’histoire la toute première image de la future Californie.
Il faudra presqu’une quarantaine d’années pour que les premières voiles
françaises fassent leur apparition et que les colons français débarquent de toutes sortes : marins officiels ou déserteurs, trappeurs, baleiniers, artisans et commerçants. Le métissage est
déjà à l’œuvre, la plupart arrivent célibataires et fondent leur famille sur place. C’est le Mexique qui contrôle alors la région, et son gouvernement facilite cette émigration en octroyant assez
facilement des concessions de terre. Cette arrivée française se fait massivement sur Los Angeles, Monterey, Santa Barbara…
Mais du côté de San Francisco, tout reste à faire pour les français. On
note tout simplement l’établissement de Victor Prudon sur un petit lopin de terre, avec juste une cabane en 1839. C’est à cette époque que les capitaines Abel Aubert Dupetit Thouars et Cyrille
Pierre Théodore Laplace abordent la baie de San Francisco avec La Vénus et l’Artémise. . Leur description est éloquente : "Qu’on se figure un immense lac d’eau salée, séparé
de l’océan par de hautes falaises et ne communiquant avec ce dernier qu’à la faveur d’un canal, large à peine de quelques centaines de toises et assez profond pour donner passage aux plus forts
bâtiments." Cette petite Méditerranée, est un bassin "assez vaste, assez profond pour contenir à l’aise toutes les flottes du monde !"
Second chroniqueur connut de l’histoire, Edmond Paris, lieutenant de cette
expédition fait quelques croquis qui rendent déjà compte du déclin de la mission espagnol.
Les années 1830 et 1840 sont celles d’une déferlante française qui se fixe
et se convertit au mode vie local alors que l’Espagne perd définitivement pied, ceci au milieu d’un cosmopolitisme absolu, la Californie s’ouvre au reste du monde.
Parmi cette population, hybride, un français surgit Louis Pichette, il
franchit l’obstacle des montagnes en 1821. Autre nom français célèbre et controversé de cette période trouble, Michel Laframboise, ce trappeur canadien français avait pour base l’Orégon et
faisait des incursions accompagné d’importants équipages, pour piller généralement la fourrure
Le Général Sutter relate les intrusions du trappeur dans son territoire
baptisé Nouvelle Helvétie : "J’ai défendu à Laframboise à pêcher le Castor mais malgré cela il fait tout ce qui lui plait…. Ils font ce qu’ils veulent parce qu’ils sont cette fois 60 hommes,
et cela est assez pour ruiner le Castor tout à fait ; parce qu’ils sont si forts, ils font ce qu’ils veulent et ne respectent pas du tout les Ordres du gouvernement et je peux vous assurer que
mes Vaches sont en grand Danger car avec ces 60 hommes il y a au moins 40 femmes et une quantité d’enfant et des chiens et tout cela veut manger…" C’est le début de la légende du Grand Ouest
américains. Près de Stockton, Laframboise organise une petite ville dite de French Camp, où s’organisent les premiers marchés d’échanges de fourrures contre de la nourriture, des
chevaux et des armes.
Joseph Yves le Limantour est un, breton célèbre, qui posséda longtemps une
large partie de San Francisco. Jean-Jacques Vioget fit en 1837 la première peinture de San Francisco qui s’appelait alors encore Yerba Buena. Témoignage exceptionnel puisqu’on y voit les collines
encore sauvages avec en tout et pour tout deux maisons : Celle de William A. Richardson et de Jacob Primer Leesse.
Deux ans plus tard, notre aquarelliste s’installe dans la maison de Jacob
Leese et parcourant les collines à cheval, il fit le premier relevé topographique du site. On lui doit un second compliment pour y avoir créé la
première taverne. Possédant de nombreuses terres, ce suisse-français s’enrichit considérablement dans ce qui allait devenir la ruée vers l’or.
C’est par le traité de Guadalupe Hidalgo que les Etats-Unis achètent la
Californie le 2 février 1848 au Mexique. Dans la foulée Johann Sutter, suisse allemand découvre de l’or sur ses terres… c’est la ruée à laquelle participent de nombreux français, on les estime
alors à vingt-cinq mille. C’est considérable, ils prennent l’habitude de se regrouper dans les rues dites Montgomery et Commercial, surnommées French Town. La ville pousse, on comble les
abords de la baie pour mieux s’établir. On construit, les espaces se définissent en fonction de leur usage économique, social, politique et très vite ethnique.
Revenons à Jean-Jacques Vioget, on le surnomme à l’époque Don juan Vioget.
Il incarnera l’esprit et le costume californien : courte veste bleue, pantalons noirs, épaisse moustache. Il fait des émules : Don Luis, un bordelais du nom de Jean-Louis Vignes fonde
les vignobles californiens, en améliorant les cépages des franciscains. En 1851 à la tête du vignoble El Aliso il produit 1 000 barils par an de
vin, mais aussi des oranges et des pêches.
La Meuse fut le 1er navire en provenance directe de France qui atteint la baie de San Francisco le 14 septembre 1849. Puis ce sont des dizaines de navires
français qui se suivent, le spectacle est insolite, un encombrement incroyable de bateaux jetés, pèle mêle, dans la baie, et une mer de tentes sur le rivage.
Voilà le témoignage d’un français participant à cette
épopée :
« Peu à peu, l’horizon s’élargit, à travers la forêt de mâts, nous
apercevons une partie de la ville et les camps d’émigrants établis sur les flancs de la montagne qui domine la baie, l’océan, le goulet et la presqu’île où s’élève San Francisco inconnue,
déserte, il y a deux ans ; aujourd’hui couverte de maisons en planches, en tôle, de toutes formes et de toutes grandeurs, de tentes de toutes couleurs, s’étageant en amphithéâtre, abritant une
population d’aventuriers, de vagabonds, de banqueroutiers, de repris de justice, de marchands, de banquiers, de marins déserteurs, de croupiers, de gens sans nom, sans patrie, clairsemée
d’honnêtes chercheurs d’or, ouvriers ou spéculateurs venus de toutes les parties du monde. C’est donc en face, et à deux kilomètres de ce grand champ de foire cosmopolite, au milieu de 300
navires, arrivés, arrivants, forcés de stationner pendant de longs mois après le déchargement, faute de frêts et de matelots qu’à 5 heures 1/2, aujourd’hui 14 décembre, la Cérès jette
l’ancre. »
San Francisco pousse encore, restaurants, cafés et maisons de jeux se
multiplient. Les français sont essentiellement banquiers, importateurs et courtiers en gros, marchands au détail, artisans, médecins, mais aussi spéculateurs et manœuvres.
La communauté française est importante, elle acquière une renommée
spécialement dans : la restauration (bien sûr), l’importation de vins (déjà), la coiffure, le commerce des fleurs… arrive alors le spectacle, et l’on attribue à un français la première
représentation, théâtrale, en décembre 1849 par Jules de France et un acteur dénommé Jourdain. C’est une communauté essentiellement d’hommes qui s’installe, rejoint dans la foulée des salles de
jeux et bars de toute sorte par les premières femmes : croupières, femmes dites galantes et actrices… le petit peuple des commerçants et artisans commence à avoir lui de son côté des
épouses, essentiellement françaises.
Dans ce tournoiement passionnel et virevolté surgit encore un autre
français célèbre de l’histoire de San Francisco, c’est Joseph-Yves Limantour. Face à cette ruée humaine, avide en terrains, il fait valoir ses droits sur la presque moitié de la ville, soit
17 756 acres ! Certains payent, d’autres non, les procès s’enchainent, il finira par perdre en 1858, lorsque la commission fédérale d’examen des titres lui donnera
tort.
La ville s’installe de plus en plus durablement et les villages de toiles
laissent la place à de jolies maisons en bois. Mais la ville est encore un centre de trafic, livré à la violence. En 1856, on relève la constitution d’un Comité de Vigilance chargé de remettre de
l’ordre, 200 français y participent. Ils s’attaquent à tous les métiers. Les français réussissent plutôt bien et occupent le haut de la bourgeoisie naissante. On cite quelques noms célèbres comme Abel Henri Barthélémy Guy (Banquier), les frères Sabatiè et surtout François Alfred Pioche avec Jules Barthélémy Bayerque
qui vont fonder une très importante banque.
Alfred Pioche est un exemple, c’est le 20 février 1849 qu’il débarqua dans
le port de San Francisco. C’est un pionnier, il a tout juste 32 ans. Il débute comme commerçant en ouvrant une boutique à Clay Street de produits français. Cette activité lui réussit bien.
C’est dans cette période, entre 1849 et 1851 que le nombre de français passera de 12 à 20 000 ! Il fait fortune et fonde ainsi la Pioche Bayerque & Co. Mais lancé aussi dans
l’immobilier il investit et ouvre de grand chantier de déboisement pour créer des rues et des maisons dans le quartier qui deviendra celui de La Mission et la Hayes Valley. Il
obtient en 1857 la concession d’un chemin de fer et construit en 1860 la ligne de Market Street Railroad.
La réussite de ces français conduit le gouvernement de Paris à ouvrir un
Consulat en 1850 à San Francisco. Le premier consul français fut Louis Gasquet, d’abord établit en 1845 à Monterey. Jacques Antoine Moerenhout lui succède et contribue à répandre en France la
ruée vers l’or.
Le vingtième siècle s’ouvre
sur une large cité. François de Tessan s’exprime ainsi en 1912 : "Naguère, nos compatriotes étaient réunis dans un quartier d’un caractère
nettement particulariste. De même, il y avait la colonie espagnole, où se rencontraient Mexicains, Chiliens, Péruviens hispano-américains et de véritables Catalans ou Andalous… et les Italiens
aussi avaient conquis tout un district. La ville nouvelle a disséminé ces colonies ou les a obligés à fusionner plus ou moins avec les Américains. Seule la Chinatown a gardé intégrale son
originalité asiatique.… Le charme de San Francisco réside dans cette étrange mêlée des races - mêlée audacieuse qui se poursuit dans l’admirable décor dont la baie est l’ornement le plus
grandiose. Sans peine on pourrait abriter là toutes les flottes du monde. S’étendant sur 677 kilomètres carrés, elle offre dans l’échancrure même, au bord de laquelle se dresse la reine du
Pacifique, un champ de 22 kilomètres carrés dont la profondeur va de 8 à 90 mètres. Les rivières de Sacramento et de San Joachim, navigables pour les bateaux d’assez fort tonnage, complètent
harmonieusement le système des communications par eau."
Texte inspiré des travaux de Claudine Chalmers et Annick Foucrier sur
l’histoire de la Californie française.