Il s’en est allé, à 84 ans, il nous a quittés pour de bon cette fois. Car il s’en était allé depuis quelques années déjà, passant le relais et le flambeau de sa plus grande fierté : la ville de Lille à Martine Aubry. Lui l’homme fort du Parti Socialiste, qui avait fait largement sa part au congrès d’Epinay (1971), mais surtout celui qui avait inscrit la gauche dans la durée, s’en était allé à petits pas et sans bruit présider l’improbable Internationale socialiste et la fondation Jean Jaurès.
Cet hommage national, rendu aux Invalides en présence de tous les caciques de la Vème République, souffle la page d’une grande histoire, mais aussi tourne définitivement le dos à une époque. Le changement de millénaire a eu lieu il y a treize ans déjà… le départ de Pierre Mauroy signe avec plus de force le changement de société que nous devons affronter désormais. Changement de société et changement de « sens », entendez direction, mais aussi signification. La vérité, le courage, le pragmatisme, l’engagement, l’empathie, la générosité, la foi dans le progrès, la sincérité, la fidélité… tout cela fait beaucoup, tout cela pèse lourd, tout cela est un peu partie dans le bleu du ciel avec Pierre Mauroy.
Il ne nous reste que « les nuages qui passent…là-bas… là-bas les merveilleux nuages… » à contempler, pensif et perdu dans l’azur de l’horizon, à méditer sur le destin des hommes et des idées.
J’ai eu la chance de vivre tous ces évènements, ceux-là même que les journalistes narrent dans leur biographie sur le disparu. J’avais 19 ans au moment du congrès d’Épinay, j’étais déjà en politique, mais à l’extrême gauche, il ne me fallut pas plus de trois années pour rejoindre le nouveau parti socialiste après l’échec de François Mitterrand à la présidentielle de 1974. L’arrivée au pouvoir de Valery Giscard d’Estaing était à mes yeux une telle horreur que je cherchais l’efficacité à tout prix. Les manifestations à quelque dizaine d’individus sur les trottoirs me semblaient trop dérisoires. C’est donc au soir de cette défaite que j’adhérai au parti Socialiste. Pierre Mauroy n’a de ce jour plus jamais quitté mon horizon.
On le disait « pilier de la social-démocratie », je dirai, moi, qu’il portait haut et fort toute une longue histoire, celle des socialistes, de Louis Blanc à Jean Jaurès, en passant par Léon Blum. Socialiste… cela suffit humblement pour honorer sa mémoire et son action.
Ces derniers propos étaient pour se remémorer la mer… la fin d’une vie là où à la courbe de l’horizon, le bleu métallique des vagues se fond sur le bleu pâle et azuré d’un ciel qui n’en finit pas. Il disait : « je suis heureux, de ma vie et de mon combat. L’ultime étape c’est un petit peu comme la mer, quelque chose qui s’impose à vous comme avec beaucoup de force et d’une grande beauté».
Pierre repose toi, là où le passage s’achève sur un insondable mystère, tu laisses derrière toi largement de quoi se souvenir à jamais de qui tu as été, et de ce que tu as contribué à batir.