Dans le journal Libération Louis Mexandeau publie un intéressant témoignage, passé injustement inaperçu. Louis Mexandeau a aujourd’hui 82 ans, il a été député du Calvados et plusieurs fois ministre sous François Mitterrand. Cela remonte à loin, mais il a été aussi un fidèle parmi les fidèles aux côtés de François Mitterrand pendant 30 ans, l’un des artisans de la renaissance du PS au Congrès d’Epinay en 1971. Ministre des PTT en 1981, il sera aussi l’auteur du projet socialiste pour l’école publié en 1978.
C’est pourquoi sa voix d’authentique militant socialiste, mérite d’être entendue. Le message est clair et les leçons à en tirer, toutes aussi claires.
Par LOUIS MEXANDEAU Ancien ministre, militant
Qui connaît Jérôme Cahuzac ? Tout le monde pour peu qu’on suive, même distraitement, l’actualité. Qui connaît Marcel Garrouste ? Personne, ou presque. Sauf qu’il a été député de la troisième circonscription du Lot-et-Garonne, celle de Villeneuve-sur-Lot, pendant treize ans. Vous commencez à comprendre ? Sauf qu’il a été maire et conseiller général de Penne-d’Agenais. Sauf qu’il habite toujours à Penne. Sauf que c’est un socialiste, un vrai. Marcel Garrouste, ce fut un militant exemplaire et obscur, comme la plupart des militants de notre parti. Un jour il enleva la mairie de Penne. Et puis il devint le conseiller général du canton.
Ce socialiste, aussi modeste que convaincu, était destiné à jouer un rôle de clarification puisqu’en 1978, aux législatives, il battit, au nom du PS, un ancien radical de gauche devenu radical de droite. Je l’ai connu alors, ce parlementaire discret et assidu. Le contraire de ces députés clinquants et sonores, aimantés, dans la salle des Quatre-Colonnes par le moindre objectif de télévision afin d’exprimer un désaccord élégant avec le gouvernement qui est pourtant le leur, voire de blâmer le président de la République à qui ils doivent leur élection. Et c’est ainsi que François Mitterrand et les Premiers ministres successifs purent compter jusqu’en 1986, puis en 1993, sur la fidélité de Marcel Garrouste qui se contentait d’accomplir son travail de député en se rappelant la phrase de Jules Guesde, un des fondateurs de notre parti : «Un parti ne vit que de discipline.»
Les temps changent. En 1997, Marcel Garrouste, qui avait été réélu de 1988 à 1993, laissa la place à un jeune et brillant chirurgien parisien… Jérôme Cahuzac. Tout en reconnaissant son talent, il me disait : «Ce qui est embêtant, c’est qu’il ne parle pas le patois.» Le péché véniel avant le péché vénal.
Il y a quelques semaines, je le rencontrai dans une réunion d’anciens députés. Evoquant le cas Cahuzac qui n’en était qu’à ses débuts, il me dit, tristement : «Tu comprends, Cahuzac, il n’a pas la même conception du socialisme que toi et moi.» Il avait raison. A cause de ses succès successifs dus à la victoire de François Mitterrand en 1981, aux succès de Lionel Jospin, à la ténacité de François Hollande, quand il fut à la tête du PS, le Parti socialiste a aujourd’hui quelque chose de trop«arrivé» pour reprendre le mot de Léon Blum qui parlait de l’avant-guerre. Les succès ont attisé les convoitises, multiplié les «rationnaires»qui guettent les successions et les prébendes. Où sont passées la force des convictions, la modestie, l’abnégation militante, ces qualités fondatrices de notre parti ? Ces qualités que possédait Marcel Garrouste.
Sous la République romaine, on vantait la vertu de Cincinnatus qui, après avoir exercé les plus hautes magistratures, était retourné à la charrue. Marcel Garrouste, pur produit de la méritocratie républicaine, avait réussi à partir du simple certificat d’études primaires à devenir directeur d’hôpital. Plus tard quand il eut rempli tous ses mandats, à plus de 70 ans, il prépara et obtint une agrégation de droit. Sans commentaires. A la veille d’une dure élection partielle, je souhaiterais que le Parti socialiste se souvînt de Marcel Garrouste. Vous le trouverez dans son village. Il vient d’avoir 92 ans. Salut, vieux camarade.