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25 février 2013 1 25 /02 /février /2013 13:43

Fridrich-Charles3.jpg

Voilà un personnage qui mérite un moment d‘attention, pour qui s’intéresse à l’Art Nouveau. L’Ecole de Nancy connait une renommée sans cesse grandissante, grâce à des artistes comme Emile Gallé[1], Eugène Vallin[2], Victor Prouvé[3], Jacques Grüber[4] et Louis Majorelle[5] …Charles Fridrich va jouer dans le mouvement un rôle singulier pour l’époque, celui de « promoteur » du mouvement, tout en étant aussi un créateur dont on a tout récemment redécouvert le talent.

La Maison d’Art Lorraine.

Il est né à Nancy en 1er août 1876, fils d’un marchand tapissier. Sa famille est originaire de Lay-Saint-Christophe, son grand père qui y est né s’installera à Nancy en 1838. C’est donc dans une tradition familiale que Charles s’intéressera très tôt à la tapisserie. Il passera son enfance dans un univers d’étoffes, de motifs de décoration et bien sûr d’aménagement qui vont très vite décidés de son avenir.

Il fait ses études à l’Ecole municipale des Beaux Arts de Nancy. C’est en 1899 qu’il expose pour la première fois ses « fameuses » tentures.

A l’âge de 24 ans, le 15 novembre 1900, il fonde la Maison d’Art Lorraine, société en commandite Charles Fridrich et Cie (au capital de 300 000 francs, « pour la fabrication et la vente de tissus, meubles et objets d’art »), au 38 de la rue Stanislas à Nancy, et aussi à Paris. Un ami de la famille Emile Goutière-Vernolle, qui a fondé  une revue spécialisée la Lorraine Artistes soutiendra son initiative.

Fridrich-Charles1-copie-2.jpgLa façade et la devanture du magasin présentaient un étrange décor plaqué, avec, dans l’esprit de l’Art nouveau, des arbres aux racines fixées avec détail et dont les ramures et feuillages montaient en rampant le long de la corniche, l’effet était saisissant.

Charles Fridrich y vend, bien sûr, les Tissus d’Art qu’il édite et fabrique. Il avait déjà commencé son activité dans la fabrique de son père, sise rue d’Amerval, puis 4, rue de la Salle à Nancy.

Avec son père ils obtiendront un diplôme de mérite à la première Exposition Universelle des Arts Décoratifs à Turin en 1902, et la même année une médaille d’or à Marseille. Face à ses premières difficultés financières, il est obligé de faire appel à de nouveaux capitaux pour maintenir à flot sa société.

C’est un pionnier qui se lance à ses risques et périls. Ambitieux, Il se fixe comme objectif : « …de favoriser l'expansion de l'art moderne, d’organiser dans ses salles des expositions permanentes destinées à faire connaître les résultats obtenus par les artistes, dans leurs recherches d'un art libre et indépendant ». Il organise des expositions permanentes, mais aussi temporaires dédiées aux artistes lorrains dans Fridrich-Charles2.jpgtoutes les disciplines. Il met en place des concours en direction de jeunes ouvriers d’art de moins de 20 ans.

Charles Fridrich réalise de son côté des peluches décorées et colorées, avec un procédé dont il a le secret, des velours frappés et gaufrés, et des tapisseries, les décors sont de Victor Prouvé, Jacques Grüber et Paul Nicolas[6].

Le salon de l’Art nouveau créé à Paris en 1895, par Samuel Bing va lui servir de modèle. Il s’agit de faire de cette Maison d’Art Lorraine, un lieu de diffusion d’un art qu’il définit comme nouveau. Ce sera le tremplin pour les artistes de l’Ecole de Nancy, dont il sera l’un des membres du Comité directeur dès 1901, le nom est, plus précisément, l’Ecole de Nancy. Alliance provinciale des Industries d’Art. Emile Gallé en sera le président. Le nom peut paraitre pompeux, mais il reflète le souci de ses créateurs de donner à leur aventure collective toutes les chances de réussir.

L’aventure va durer seulement trois ans, avec des succursales dans la région Lorraine à Vittel (Station thermale réputée de l’époque) et jusqu’à Luxembourg. Il fera malheureusement faillite en 1903.

Sa société est condamnée à la liquidation financière. Le 22 juin 1903, un volumineux lot de tentures et tissus divers est vendu aux enchères publiques. La vente rapportera peu, la dépression économique est déjà là et se fait fortement sentir à Nancy.

Abandonnant son activité de « prophète » des arts, il poursuivra à la fois son activité de créateur mais aussi de vente de meubles et d’objets d’antiquité, métier dont il excella l’art.

Fridrich-Charles5.jpgNovembre 1904, les nancéiens découvrent salle Poirel, l’exposition d’art décoratif qu’a organisée la Société lorraine des amis des arts. L’espace a été réaménagé par Eugène Vallin, avec l’aide de son ami architecte Alexandre Mienville. Sont associés à l‘exposition : Victor Prouvé, Auguste Vallin (le fils d’Eugène), Charles Fridrich y réalisera l’ensemble des tentures.

Il prononce la même année à l’Académie Stanislas son discours de réception sur « Le décor symbolique ».

Les tissus et les velours…

Sur cette période il va produire beaucoup, avec comme thème majeur d’inspiration la nature, il donnera à ses tentures les noms de : Paysage, Le philodendrons, l’Aquarium, les Capucines, Chèvrefeuilles, Cytises, Clair de lune, les Ombelles, le Chardon, les Courges, Nymphéa… celles-ci seront déclinées en : rideaux, portières, bandeaux, dessus de siège et de pianos, tapis de table, paravents, cadres de glace, coussins etc.

Pour ce qui est « des Ombelles », j’ai le souvenir de les avoir vues accrochées dans le hall du château de Vandoeuvre lorsque j’y habitais. C’est sur un fond de peluche d’une couleur violine, très originale, que se détachent les tiges fleuries d’Heracleum fridrich-Charles8.jpgphundulium, appelées souvent Berce des Près ou Ombelles. L’ensemble est assez majestueux et d’une beauté sereine.

Des les débuts de la chimie, Charles Fridrich va chercher à tirer profit de ses immenses possibilités, particulièrement chromatiques. Il apprend très vite à maitriser la technique qui consiste à modifier les couleurs d’un tissu par l’application de réactifs de nature basique ou acide.

Dans le journal la Maison d’Art Lorraine, le journaliste Gaston Save écrit dans le numéro du 1er avril 1900, grâce à cette technique: « la fantaisie de l’artistes trouve (…) libre carrière, tous les tons, unis ou dégradés, nets de bords ou fondus, clairs ou foncés, irisés ou chatoyants, lui sont donnés sans difficultés techniques, par des réactions très simples, presque sans outillages. Pas de Bains colorants, aucune teinture, donc solidité absolue, comme on peut s’en convaincre par les pièces exposées au plein soleil dans le magasin Fridrich. »

L’art de cet artisan lui permet de passer par les tons de couleurs plus originales les unes que les autres et qui vont caractériser son travail et son art : bleu paon, vert émeraude, bleu au pochoir et toutes ses nuances. Ce sont les indications de la découpe du pochoir qui vont assurer la protection des parties qu’il cherche à préserver de l’attaque des acides. La cire, le Pégamoid[7] ou le Viscoïd[8] vont assurer l’étanchéité nécessaire à la réussite de son travail.

Les effets surprenants obtenus, le sont par l’utilisation de ces caches en buvard épais. Juste après la pulvérisation des acides, ils sont immédiatement retirés ou laissés quelques temps. C’est cette appréciation d’usage qui va permettre la création des nuances et des subtilités des couleurs. Gaston Save parle dans son article du résultat final en ces mots : «Ni un tableau (…) ni une tapisserie, mais un décor en teinturerie harmonieuse et simple n’ôtant rien à l’étoffe de sa souplesse et de son velouté Soyaux.»

L’artiste utilise encore des effets d’écrasements sur les velours et peluches pour accentuer les effets. Enfin c’est à la broderie de rentrer dans le jeu. La machine des brodeurs, « Cornely [9]» peut fixer sur ce fond travaillé des appliques d’une couleur ou d’un matériau différent : soie, fine peau ou encore galons. C’est selon l’investissement recherché. Ces ajouts peuvent en effet couter fort cher.

fridrich-Charles9.jpgLes travaux exécutés autorisent toute sorte d’usage du plus petit au plus grand, l’essentielle des tentures permettent le décor de grandes surfaces murales, de halls et de cages d’escalier.

Il va donc utiliser les techniques propres à la chimie pour son travail et se spécialiser dans la décoration des tissus et tentures d’appartement. Il fixera essentiellement des végétaux, en s’inspirant du japonisme à la mode. Il commercialisera, avec succès, ses peluches décolorées et réalisera de nombreux objets de décoration. Ses matériaux de prédilections seront ; le coton, la laine, la soie, le lin et le velours. Ses principaux motifs seront inspirés par le travail de Louis Hestaux[10].

Tantôt il réalise lui-même les dessins de ses tissus, tantôt il fait appel aux artistes du moment. Il collaborera longtemps avec Ernest Ventrillon, tout jeune débutant, né en 1884.

En 1907, il participera à la commande Georges Malard, pharmacien à Commercy qui souhaite réaliser une devanture inspirée par l’art nouveau. C’est Eugène Vallin qui va la concevoir dans le style de l’Ecole de Nancy, il demandera à Charles Fridrich d’en concevoir le décor intérieur. Elle se visite toujours aujourd’hui.

L’école de Nancy.

Les artistes de l’école de Nancy ont connu un succès foudroyant avec un art dit « nouveau » qui s’inspire des formes de la nature : principalement végétale, on y retrouve les thèmes de l’ombelle, du nénuphar, du chardon, du cucurbitacée, du ginkgo, mais aussi animale, comme les papillons, les libellules et les lézards. Les matériaux employés sont le bois, l’acier, la ferronnerie et la verrerie. L’ambition : exalter la beauté Fridrich-Charles4.jpgde la nature et lui donner sa place dans la maison, ces artistes se veulent populaires.

Les artistes de l’Ecole de Nancy seront architectes (250 ouvrages d’architectures seront restaurés et mis en valeur entre 1998 et 2000), maîtres verriers (Emile Gallé, Jacques Grüber) ébénistes (Louis Majorelle), peintres (Emile Friant[11]), écrivains (Paul Souriau), poètes, journalistes, éditeurs (François-Georges-Oscar Berger-Levrault[12]) et mécènes (Eugène Corbin[13]). La ville de Nancy connaitre une effervescence artistiques exceptionnelles dont il reste de nombreuses traces : le parcours des maisons et le fameux musée de l’école de Nancy.

Fin de vie et descendance…

Charles Fridrich terminera sa vie, aux côtés de son épouse Claire Blondlat, institutrice à Villers-le –Sec (ses deux parents étaient eux mêmes instituteurs) laïque et engagée, au Château du vieux village de Vandœuvre-lès-Nancy, aujourd’hui inscrit à l’inventaire complémentaire des monuments historiques. Il est mort le 12 novembre 1952, médaillé de la guerre de 14-18, avec le grade de colonel, contrairement à toutes les références publiques qui font état de son décès en 1962. Il est enterré au cimetière de Préville à Nancy, comme nombre des ses amis de l’Ecole de Nancy.

Il a eu deux enfants Jean-Pierre, antiquaire et Jacqueline Kaplan qui fut de nombreuses années (40 ans) engagée dans la vie municipale de Vandœuvre-lès-Nancy, les serres de la ville porte son nom.

Fridrich-Charles.jpgIl a un arrière petit fils qui fait une carrière artistique : Jérôme Kaplan. Après avoir étudié la scénographie à l’école de la Rue Blanche (EBSATT° il dessine aujourd’hui les costumes et les décors de nombreux spectacles en France, comme à l’étranger : à l’Opéra Bastille, les ballets de Monte Carlo, le Ballet national de Shanghai, de Finlande, la Comédie Française, le Théâtre National, de Chaillot. En 2012, il sera honoré du Golden Mask du meilleur créateur de costume pour les décors et costumes des Illusions perdues au théâtre du Bolchoï à Moscou.

Sources :

http://www.ecole-de-nancy.com/web/index.php?page=presentation-men

Alliance provinciale des industries d’art, Ecole de Nancy, statuts, Nancy, 1901

Nicolas E. L’art décoratif lorrain et l’Ecole de Nancy, Nancy, 1917

Musée de l’Ecole de Nancy, broderie et tissus, de François Thérèse Charpentier, 1980, Nancy

Guide de l’Ecole de Nancy, de Christian Debize, Presse universitaire de Nancy, 1993

V. THOMAS, « Charles Fridrich et la Maison d’Art Lorrain », Actes du Colloque, L’Ecole de Nancy et les arts décoratifs, Nancy, 1999, p. 184-193.



[1] - Émile Gallé, né à Nancy le 4 mai 1846 et décédé dans la même ville le 23 septembre 1904, est un industriel, maître verrier, ébéniste et céramiste français. Il est fondateur et premier président de l’École de Nancy en 1901.

[2] - Eugène Vallin est né à Herbéviller en 1856 et est mort à Nancy en 1922. C'est un architecte et menuisier d'art français.

[3] - Victor Prouvé, né le 13 août 1858 à Nancy - mort le 15 février 1943 à Sétif (Algérie) est un peintre, portraitiste, paysagiste, sculpteur et graveur français. Il appartient au mouvement de l'art nouveau.

[4] - Jacques Grüber, né le 25 janvier 1870 à Sundhouse (Bas-Rhin) et mort le 15 décembre 1936 à Paris (Seine), est un artiste plastique et maître verrier français.

[5] - Louis-Jean-Sylvestre Majorelle, usuellement Louis Majorelle est né à Toul le  26 septembre 1859 et est mort à Nancy le 15 janvier 1926. Il était un ébéniste et décorateur français, membre de l’Art nouveau du mouvement de l'École de Nancy dont il fut également vice-président

[6] - Paul Nicolas, dit d'Argental, né le 25 mai 1875 à Laval-sur-Vologne (Vosges) et mort le 22 février 1952 à Nancy, est un maître verrier français.

 

[7] - Le Pégamoïd, produit assez voisin du Celluloïd, se prépare à partir de camphre et de nitro-cellulose dissous dans l'alcool ou dans un autre solvant adapté. On ajoute de l'huile de ricin en petites quantités comme plastifiant. On utilise le Pégamoïd dans la préparation de cuirs artificiels et de toiles cirées. Il peut être réalisé également, pour d'autres emplois, en feuilles transparentes, imperméables et peu combustibles."

[8] - La viscose, abandonnée à l’air, se coagule en donnant de la cellulose hydratée, qui se contracte peu à peu, ce produit solide est le Viscoïd.

[9] - Cette broderie porte le nom le la machine qui l’exécute. Créée au XIXe siècle pour imiter le point de Beauvais, elle a été utilisée au XXe siècle pour le linge de maison et la mode. La Cornely, guidée à la main par l’artisan brodeur, peut réaliser de la broderie « 2fils » et « 3fils », ce qui permet d’apposer des matières sur l’ouvrage en soutache (2 fils) ou d’ajouter une âme à la soutache (3 fils). La machine peut aussi broder une grande diversité de toiles, coton ou lin, soie ou laine, des plus fines aux plus épaisses, soyeuses ou rêches.

[10] - Louis Hestaux est né en 1858 à Metz et est mort à Nancy en 1919, c’est un peintre français.

[11] - Émile Friant est un artiste-peintre naturaliste français né à Dieuze le 16 avril 1863, mort à Paris le 9 juin 1932 ;

[12] - François-Georges-Oscar Berger-Levrault, né le 9 mai 1826 à Strasbourg et mort le 24 septembre 1903 à Nancy, est un éditeur français.

[13] - Jean-Baptiste Eugène Corbin (1867 - 1952) est un artiste amateur, collectionneur d'art et sportif, qui fut un mécène majeur du mouvement Art nouveau de l'École de Nancy.

 

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