Aujourd’hui partie intégrante de la chaine des restaurants « Flo », l’Excel comme nous disions, n’a plus tout à fait la même âme aujourd’hui. Certes, il est toujours là, après avoir été menacé de disparition à plusieurs occasions, certes il a bénéficié d’une rénovation très respectueuse (après tout de même quelques rappels à l’ordre), mais le souvenir de nos 20 ans n’y trouve plus son compte.
Je vois encore la table où François Lalvée, Francis Pêcheur, Philippe Lebourg, Éric Alexandre, Pierre Éliane[1] et moi même, nous nous asseyions les après-midi pour y réinventer le monde, la poésie et la bière… quand on rentre, on passe le banc du Mareyeur, pour tourner à gauche vers la grande salle, c’est encore juste à gauche, la première table… mais aujourd’hui, tout est propre, bien rangé, si rutilant… Disparu les atmosphères enfumées, le va-et-vient incessant des serveurs et le bruit continu de voix enflammées qui n’hésitaient jamais à parler haut à chaque fois que cela était nécessaire pour une cause, un principe, un homme, une femme… Disparus mes propres amis, morts pour certain, perdus pour d’autres.
Cela fait déjà plus de cent ans que l’Excelsior bat au cœur de Nancy un rythme bien singulier… jadis lieu de bohème, aujourd’hui lieu de rendez-vous d’une bourgeoisie bien rangée, quoi qu’intellectuelle, un peu, juste un tout petit peu, mais les étudiants ont presque tous disparu… de ce mausolée un peu figé qu’est devenu l’Excelsior
Un peu d’histoire.
C’est en 1911 que l’Excelsior vit le jour, un jour de carnaval qui du coup lui assigna définitivement une place de roi dans la capitale de Stanislas Leszczynski. Sa façade illustre parfaitement ce que l’école de Nancy avait voulu accomplir en célébrant l’alliance de l’art et de l’industrie, elle est l’œuvre des architectes Lucien Weissemburger[1] et Alexandre Mienville[2].
C’est, bien entendu, un brasseur, Louis Moreau qui eut l’idée de créer ce lieu de prestige consacré à la bière, mais qui se devait de refléter la folle énergie de ces années 1910 où commençait déjà à prospérer l’idée même de « l’École de Nancy ». Elle fût la vitrine même de ses plus brillants artistes : Jacques Grüber[3], verrier de génie réalisa les somptueuses baies sous forme de dix verrières, enchâssées dans des cadres de cuivre, ceints de somptueux cabochons de pâtes de verre, avec des motifs de fougères, de pins et de feuilles Ginkgo biloba.
Le mosaïste Pèlerin réalisera au sol, une extraordinaire mosaïque composée d’amples palmes stylisées.
L’éclairage se fait à partir de 300 becs lumineux aux tons jaune orangé en pâte de verre conçus et réalisés par Antonin Daum[4] lui même. Les lustres de Louis Majorelle[5], complété par des appliques de cuivre ciselé signées Daum, créent une ambiance lumineuse particulière aux tons ivoirins.
L’ensemble du mobilier de la brasserie est l’œuvre de Louis Majorelle, réalisé en acajou massif en provenance de Cuba, complété par des lambris en bois de tamarinier, des portemanteaux et des glaces biseautées complètent la décoration.
Au plafond serpentent à même les voussures, de grandes fougères et des sculptures qui sont l’œuvre des sculpteurs Galetier, Burtins et Léopold Wolf.
Dans les années qui suivent, la descente d’escalier qui mène aux salons privés, fût confiée à l’imagination d’un autre enfant prodige de la ville le ferronnier d’art Jean Prouvé[6] (Réalisation en 1928 et 1929). Le travail s’est inspiré du chef-d’œuvre de Pierre Missey, collaborateur de Prouvé, pour le paquebot le Koutoubia , tout en acier inoxydable poli.
Péril dans la demeure.
C’est dans les années 1970 que ce véritable musée vivant de l’École de Nancy faillit disparaître, alors qu’il avait survécu au bombardement de la Seconde Guerre mondiale. La municipalité d’alors, alliée avec un groupe de promoteurs immobiliers peu scrupuleux, avait imaginé de recréer de toute pièce le quartier de la gare en rasant tout, y compris l’Excelsior. Malheureusement, ils arrivèrent à leurs fins partiellement en détruisant la brasserie Thiers et en faisant édifier l’épouvantable tour Thiers de 80 mètres de haut et qui défigurent pour toujours la sortie de la gare de Nancy.
C’est à Françoise Hervé, une ardente militante du patrimoine (aujourd’hui adjointe au maire de Nancy, en charge du patrimoine) avec une poignée de Nancéien que nous devons d’avoir évité le pire, à savoir la destruction totale de l’ensemble de la brasserie Excelsior. C’est avec l’appui puissant du commissaire-priseur Maurice Rheims[1], grand spécialiste de l’Art nouveau qu’elle put faire reculer la municipalité et obtenir dans la foulée le classement aux monuments historiques de tout le bâtiment, le 22 juin 1976. C’est aussi dans les années 1990, que pour des raisons financières que l’établissement connu une période de trouble. Le rachat par le groupe FLO et la restauration de la salle de restaurant redonnèrent une nouvelle vie à cette brasserie exceptionnelle.
Un trésor à encore découvrir.
C’est à Jacqueline BURTIN, qui a été directrice de l’école maternelle Emile Gebhart, que l’on doit une incroyable révélation.
L’Excelsior qui est déjà en soi un musée recélerait un inestimable trésor, une peinture d’Emile Friant[1]. Jacqueline, enfants, venait avec ses parents à l’Excelsior et elle se souvient très bien d’une grande peinture centrale, aujourd’hui recouverte d’un immense miroir, qui représentait des dames et de messieurs bien habillés dans un décor champêtre. Elle a même demandé à Jack Lang s’il ne pouvait pas intervenir auprès des propriétaires pour la faire découvrir. Un autre nancéien a témoigné de l’existence de cette peinture en apportant un peu plus de précisions : « Selon mes souvenirs, cette peinture représentait à droite un vieillard barbu devant une chope de bière et à gauche des jeunes filles couronnées, dépoitraillées au centre et en bas des bâtiments industriels aux cheminées fumantes, le tout sur fond de feuilles de houblon avec leurs cosses et d’épis de céréales, de l’orge sans doute ».
On s’interroge sur le fait qu’il n’y ait eu pas plus de pression et d’insistance pour que ce miroir soit déposé afin d’accéder à cette œuvre d’Emile Friant.
L’Excelsior, lieu de rencontre des artistes et des intellectuels.
Ils sont nombreux à avoir fréquenté le lieu. Et quoique l’on puisse en penser et la mauvaise réputation que certains ont pu lui donner, Nancy a toujours eu un rayonnement artistique et culturel intense. L’école de Nancy qui a influencé toute une génération de créateur et a illustré brillamment les Arts déco, le festival mondial du théâtre qui a révélé une multitude d’artistes de Pina Bausch à Bob Wilson, entre autres et enfin Jazz Nancy Pulsation qui existe toujours.
C’est ce décor exceptionnel qui vit se succéder toutes les générations d’artistes et d’intellectuels nancéiens, en premier l’ensemble des artisans de l’école de Nancy avait plaisir à s’y retrouver, plus tard les initiateurs du festival mondial du théâtre (créé par Jack Lang) et aussi ceux du non moins célèbre Festival de jazz Nancy Pulsation créé en 1973 : Gilles Mutel, Pierre Pajon, Tito, Patou Kader qui en assure encore la direction artistique.
Mais on pense aussi à Tom Novembre et CharlElie Couture[1], les deux frères qui ont grandi ici.
Philippe Claudel[2] suivit ses études à la faculté des Lettres de Nancy et soutint sa thèse consacrée à André Hardellet[3] sous la direction de Gilles Ernst, qui fut aussi mon professeur et y passa quelques années de sa vie.
Ségolène Royal fit à Nancy une partie de ses études au centre universitaire d’études politiques (qui préparait à l’entrée de l’institut des Sciences politiques de Paris) n’a pu que fréquenter l’Excelsior.
Bref, ils sont trop nombreux pour tous les citer.
Pour en savoir plus, lisez l’excellent livre de Michel Caffier « L’Excelsior, un siècle d’art de vivre à Nancy » Éd. Place Stanislas, 117 p., 29 euros.
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