Pour continuer la galerie de portraits de femmes et d’hommes que j’ai eu la chance de côtoyer, aujourd’hui je vais évoquer la mémoire d’un ami, lui aussi mort trop tôt. « Saltimbanque », tel il parlait de lui par défi et par humilité aussi. Il a touché à tout avec talent, professeur des universités, il était cinéaste, acteur, réalisateur, scénariste, journaliste, écrivain régionaliste et surtout pionnier de l’enseignement de l’audiovisuel à l’université et un très grand humaniste.
Comme Jack Lang, il est originaire de Mirecourt dans les Vosges, il y est né le 19 janvier 1945. Il passe son enfance à Nancy dans un milieu déjà universitaire, puisque son père adoptif était directeur de la Cité universitaire de Nancy. Son père biologique est mort accidentellement en service quelques mois avant sa naissance. Vosgien, il aimait à le souligner, en rappelant qu’il était petit fils d’un luthier et d’une brodeuse, tous deux de Mirecourt.
Il fait des études classiques au lycée Henri-Poincaré de 1955 à 1964. Il s’inscrit à la faculté des lettres, la même où je fis mes études et où bien des années plus tard je fis sa rencontre, d’abord comme enseignant. Il y obtint une licence de Lettres Modernes, suivie d’une maitrise de stylistique. Il commence à travailler sur Albert Camus et devient alors Vice-président du journal étudiant L’Echo des Lettres, il y fait son apprentissage journalistique avec ses premières critiques cinématographiques. Il commence son aventure, sans fin, avec le cinéma.
Entretemps il se marie en 1969 avec Françoise Charmoillaux, dont il aura quatre enfants : Jean, Gérard, François et Anne.
Il se présente au Capes de lettres, il est reçu et prend son premier poste au CES Emile Gallé d’Essey-Lès-Nancy. Il rédige sa thèse d’état et obtient rapidement un poste d’assistant à la faculté des Lettres de Nancy en 1970 à l’UER de Lettres.
C’est avec le professeur Guy Borelli qu’il commence à organiser le premier colloque sur l’enseignement et le cinéma (1973). En 1974, je le rencontre, lui comme enseignant, moi comme étudiant en lettres. Parmi mes enseignants, il fût l’un de ceux qui m’a marqué par son engagement, sa passion et son extraordinaire disponibilité envers les étudiants. C’est à lui que je dois sans doute cette qualité que me reconnaissent mes étudiants d’aujourd’hui. Je mets modestement mes petits pas dans les siens.
Il entreprend un important travail sur le film la Grande Illusion de Jean Renoir. Et soutien sa thèse en 1973 avec la mention Très Bien. Il poursuit son étude sur l’image de la femme, toujours dans l’œuvre de Jean Renoir, il en fera sa thèse de docteur d’état en 1988. Il est nommé professeur des Université le 1er octobre 1987. Il rejoint la section Science de l’information et de la communication de la faculté des lettres de Nancy.
Il se constitue une solide culture cinéphilique, reconnue par les plus grands de la filière. Ainsi le scénariste Henri Jeanson le cite dans ses mémoires. Il va se mettre à la réalisation et apprend le métier aux côtés du cinéaste Michel Guillet.
Sa réputation dans le monde de l’audiovisuel l’amènera à prendre des responsabilités hors de l’université, à la télévision régionale, Il sera le directeur de Radio France Nancy de 1983 à 1985. Il donnera ainsi leur chance à de jeunes auteurs lorrains, comme Francis Kuntz, dit Kafka. Il mettra en place les premiers diplômes universitaires en cinéma.
Il sera un acteur de la société civile. A 42 ans il sera élu comme conseiller PS de Vandoeuvre lès Nancy et en 1992 il deviendra grand –maître adjoint du Grand Orient de France. Depuis la fac, nos chemins n’ont pas cessé de se croiser en politique et ailleurs… J’aimais, comme tant d’autre son extrême simplicité, son humour, son détachement et sa liberté. J’ai rarement connu d’hommes plus libre que lui. Ni l’ambition, ni le souci de la carrière ne pouvaient lui dicter ses pas. Il savait dire oui, il savait dire non et il savait s’éloigner de ceux qui ne méritaient pas sa confiance. Sa soif de vivre était telle qu’il ne risquait jamais de se trouver désarmé par la vie. Son talent était tel qu’il trouvait toujours à faire.
Créateur, innovateur il fonde avec Noël Nel et Eric Schmulevitch l’Institut Européen du cinéma et de l’audiovisuel en 1994. Il produit l’émission « Continentale » sur FR3 en 1995, et co-fonde la société « Ere production » à Nancy en 1996. Chercheur de grande renommé, il avait commencé un important travail de recherche sur Jean d’Arcy, ancien directeur des programmes de l’ORTF, dont il a fait déposer les archives à Nancy.
Sur le plan de la création, on lui doit d’innombrables enregistrements radiophoniques et films sur la Lorraine. Il a eu le Prix de l’Académie des Beaux Arts pour son ouvrage co-écrit avec Daniel Corinaut « Travelling du rail » chez Denoël.
Il passe de l’écrit à l’image avec le même talent. Il obtient le prix Jacques Rosenberg (Fondation Auschwitz) pour le film co-réalisé avec Régis Latouche : « Français pour 42 sous ». C’est le travail en équipe et en duo qui le touche le plus.
Il fut aussi acteur dans de nombreux films : 1977 : La mort du téméraire de Marthe Hornus : Le journaliste qui interviewe Charles le Téméraire (Roger Hanin), 1978 : Louise Michel, la Vierge Rouge de Michel Guillet : L'officier versaillais, 1978 : Propos d'un libertin de Michel Guillet : Diderot, le journaliste, 1981 : Le Mécréant de Jean L'Hôte : Le planton, 2006 : Le temps de la désobéissance de Patrick Volson, TV : Alex, Le journaliste
Les hommages suivront : il devient membre de l’Académie Stanislas et reçoit la décoration de Chevalier des Arts et Lettres.
Comme réalisateur et scénariste, il laissera derrière lui plus de 27 documentaires, dont : 1978 : Propos d'un libertin : Diderot, coréalisé avec Michel Guillet - Documentaire, 13 min, FR3, ;1984 : Robert Schuman, coréalisé avec Jean-Marie Deconinck - Documentaire, 104 min, RTBF ; 1990 : L'Amérique de Jean Baudrillard - Documentaire, 13 min, France 3 ; 1999 : Paul Verlaine - Documentaire, 26 min, France 3 ; 2001 : Le pays aux 800 000 Présidents, coréalisé avec Régis Latouche - Documentaire, 104 min, France 3 ; 2002 : Retour à Mirecourt - Documentaire, 20 min, IECA ; 2004 : Sweet Lorraine, suite lorraine (septembre 1944) - coréalisé avec Nathalie Conq et André Villeroy - Documentaire, 100 min, IECA
Il meurt, hélas, trop jeune le 15 mai 2006 à Nancy, qu’il n’a jamais quitté.
On ne l’oublie pas, dès 2006 le festival de cinéma Aye-Aye (Nancy) lui rend hommage. L’année suivante, c’est la ville de Mirecourt qui le met à l’honneur en inaugurant la salle Roger Viry-Babel.
En 2008, son ancien étudiant Philippe Claudel lui consacre une dédicace au générique de son film « Il y a longtemps que je t’aime », dont de nombreuses scènes sont tournées à Nancy.